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15 juin 2018

SAV chronique Radio-Rôliste.


SAV chronique Radio-Rôliste. Hier fin d’une partie en deux séances du scénario Screams of The Children de Cthulhu Dark. Ce fut très plaisant à mener et, si j’en crois les joueurs, à jouer (notre unique et intermittent spectateur n’a rien dit, lui, par contre). Le scénario est assez linéaire comme prévu mais rend une excellente ambiance à la fois authentiquement lovecraftienne et originale. Authentiquement lovecraftienne, bien plus qu’appel-de-cthulhuienne, par le rythme du scénar, le déroulement du mystère, les thèmes, là où se situent la résistance et l’aspiration… Authentiquement originale par le cadre du Londres victorien, par le jeu des classes sociales inférieures, par l’accroche des personnages (plus viscérale qu’intellectuelle).

Le scénario est très bien écrit, j’ai pu le mener avec une préparation minimale, traduisant quasi au vol de l’anglais (tout au plus avais-je recherché au préalable la traduction exacte de quelques mots de vocabulaire plus délicats). Le système fait son job.

Par contre, je n’avais pas anticipé les interactions entre le système et le scénario. Lors de ma chronique sur Radio-Rôliste (écoutez nos anciens numéros), j’avais considéré les deux séparément, examinant les mécaniques dans l’optique de les utiliser dans des parties plus improvisées, plus bac à sable, et les scénarios en eux-mêmes sans les relier vraiment aux mécaniques (celles-ci sont d’ailleurs tellement légères que leur présence est très limitée dans les scénarios eux-mêmes, on pourrait croire des scénarios « system agnostics »). Or ce premier scénario est écrit d’une manière particulière : des lieux et PNJ classiquement reliés par un réseau d’indices, certains de ceux-ci étant indiqués en italique lorsqu’ils nécessitent un jet de dés pour être découverts. Ce qui est parfaitement logique : le rythme des mécaniques demande des jets réguliers pour mettre en branle la mécanique de lucidité (insight) et la tension qu’elle génère. Il faut qu’il y ait la bonne quantité de jets pour que, statistiquement, la tension soit à son comble en fin de scénario. Par contre ces jets, parfaitement traditionnels, tels qu’on les trouverait dans l’AdC, m’ont finalement déplu, pour plusieurs raisons :
- Le plus souvent, il n’y a pas d’opposition, et donc aucun risque de rater son jet. Les enjeux du jet sont donc a. de connaitre la qualité de la réussite et b. le risque de « réussite excessive » qui lèverait un coin du voile sur l’insupportable nature du réel. Or le scénario fourni un peu trop peu de billes pour ce dernier cas, et presqu’aucune pour faire varier la qualité de la réussite. L’enjeu du jet est faible, encore diminué par sa répétition. (Bien qu’il devienne plus stressant vers la fin, mais ce stress est très vite relativisé par une analyse de probabilité simplissime.) Sur chaque jet, il faut pouvoir donner pour chaque information une déclinaison en six degrés de réussite, alors ce sont plutôt des atomes d’information condensés en quelques mots (faciles à repérer dans le texte, fonctionnels en tant qu’indice, évocateurs comme il faut pour l’ambiance, bien placés), c’est difficile. Cela demande un peu de travail, oui, mais je n’ai pas la finesse nécessaire pour distinguer ces 6 degrés à tous les coups. Donc le côté « qualité de la réussite » tombe lui aussi quelque peu à l’eau.
- Il n’y a pas la variété des jets que l’on trouve dans un jeu à compétences : c’est le « même jet » pour tout. Il faut faire un jet pour interroger le témoin, trouver l’objet dissimulé, échapper au danger… Mais il n’y a aucune variété mécanique, c’est très répétitif, et le jet en perd à force tout son sens (une sorte de saturation sémantique ?).
- J’ai bien intégré l’école Gumshoe, ou celle des jeux PbtA (en vrai je le faisais aussi avant, mais je n’avais pas formalisé le pourquoi ni le comment) : il est beaucoup plus intéressant de savoir ce que l’on fait avec l’information que de savoir si on l’obtient ou pas, j’ai donc tendance à donner les indices avec libéralité. Demander un jet à chaque atome d’information me semble fastidieux et contre-productif. Surtout quand, hors de l’enquête, un jet de dés règle plutôt tout une situation, un conflit (ou au moins ce que l’on appellerait une action en PbtA).

Je ne pense pas que ces problèmes se posent sur une séance plus improvisée, car alors c’est le rythme de la lucidité, donné par la mécanique, qui va rythmer la partie ; ici le nombre de jet est fait pour caler le rythme de la mécanique sur celui du scénario (et encore, sans tenir compte du nombre de joueuse, qui est un grand facteur d’équilibrage). Sans la possibilité d’ajuster la mécanique sur le scénario par exemple par des difficultés, c’est un peu difficile. Bien évidemment, le gardien peut prendre le scénario comme canevas sur lequel improviser, mais la manière dont il est écrit n’encourage pas cela.

Bon scénario, bon système, alliance un peu décevante. Mais cela a fait une belle séance de mystère lovecratfien au final.

(Une autre remarque sur les règles, un léger regret : pas de consigne pour jouer la montée de la folie lucidité. Les joueurs avaient envie de jouer cela, ils l’ont fait, ce qui nous a valu un surprenant et beau pétage de plomb. Mais les règles sont curieusement silencieuses là-dessus.)

5 commentaires:

  1. Si je comprends bien, une action corrective pourrait être de dire "Pour un scénario de cette durée, il faut prévoir n lancer de dés pour obtenir, statistiquement, m gain de lucidité" ?
    Et laisser une liste ouverte de situations demandant de faire ces lancers.
    Est-ce que c'est ce genre d'équilibrage dont tu parles ?

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  2. Pierre M c'est une des possibilités. Ou hacker complètement le jeu, avec par exemple un compteur de tension global qui permettrait de moduler les choses (pas taper, c'est juste une idée comme cela). Ou écrire le scénario sous une forme qui correspond plus à l'usage en impro, cette dernière étant ce qui est conseillé dans les conseils de maîtrise, avec des principes comme "quand un des personnages arrive à 5 en lucidité, amenez la fin" (mais pas dans les conseils de rédaction/préparation).

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  3. Evlyn M merci. Ici l'enquête sert surtout de prétexte pour découvrir l'horreur. Il n'y a pas vraiment d'enjeu sur le fait de la résoudre.

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  4. Délicate question.

    Tout d’abord, je n’agirais pas qu’au niveau du scénario, mais j’essayerais de hacker le système de manière à pouvoir moduler la vitesse de progression, pour pouvoir adapter le jeu et au nombre de personnages (6 personnages font devenir lucides moins rapidement qu’un seul. Pas 6 fois plus lentement, mais plus lentement tout de même) et à la durée désirée de la partie (parce que parfois j’ai la possibilité de jouer deux heures en virtuel et parfois six autour d’une table physique).

    Ensuite, tant que l’on est à faire la liste au Père Noël non-euclidien, puisque les scénarios CD proposent des pré-tirés, j’intégrerais plus la personnalisation du scénario à ces pré-tirés.

    Par ailleurs je décrirais, oui, une situation globalement décrite, et ce n’est pas loin de ce que l’on a déjà, mais l’aspect bac-à-sable / improvisation / illusionnisme porterait sur des morceaux à ajouter ou enlever en cours de route, à des variantes, pour répondre aux impulsions de la table tant en contenu qu’en rythme.

    Et surtout un mode de rédaction ressemblant moins à un script (avec certes un ou deux embranchements), plus à une boite aux trésors.

    Le côté themes and creepings horror est déjà tout à fait dans la bonne direction. Un peu plus de ce genre de rédaction.

    Finalement, en profitant du hack hypothétique du système, j’essayerais de plus dissocier les jets des atomes d’information, sans toutefois tomber dans le jet de SAN systématique devant des révélations automatiques… Il y là un équilibre à trouver pour lequel j’ai beaucoup plus de questions que de certitudes.

    Tout cela IMHO, YMMV, IANAL

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  5. Grrr, il y avait autre chose qui me chiffonnait légèrement hier et je ne parviens pas à remettre le neurone dessus quand je suis devant le clavier.

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