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24 janvier 2017

[TL;DR j'ai l'impression que ce que nous pensons qu'est le jdr influence comment nous le ressentons.]


[TL;DR j'ai l'impression que ce que nous pensons qu'est le jdr influence comment nous le ressentons.]

Dans la série des évidences qui vont sans le dire mais qui vont mieux en le disant, j'ai envie de parler caractère essentiellement subjectif et personnel du jeu de rôle. Que se passe-t-il objectivement durant une partie ? Juste des gens qui ont une conversation et manipulent parfois quelques accessoires. L'expérience du jeu de rôle est intérieure, mentale, intime et personnelle. En interaction avec cette conversation, ces symboles.

Cela ne veut dire ni individuellement totalement unique ni absolument inatteignable, car nous sommes semblables. Cela ne veut pas dire imperméable aux facteurs extérieurs. Et cela ne veut pas dire que l’intériorité en elle-même soit spécifique au jeu de rôle.¹

Par contre j’ai l’idée que c’est tout de même subjectif, personnel, soumis à des facteurs internes. Bien sûr notre humeur, notre disposition, nos gouts. Nos sensibilités, en bien et en mal. Mais au-delà de cela, j’ai l’idée que le modèle mental que nous avons de notre activité, la représentation que nous avons de sa nature, de son fonctionnement, change la manière dont nous la percevons. Que réfléchir sur le jdr change la manière dont nous le ressentons en pratique, en formant une boucle de rétroaction. Et peut changer notre ressenti de manière fondamentale. (J’avais prévenu que c’était plutôt du registre de l’évidence. Et attention aux évidences, c'est souvent là que s'arrête notre réflexion, et ici je parle en priorité de la mienne.)

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¹ Par contre, pour moi, cela veut dire que nous nous heurtons, pour comprendre le jeu de rôle, que ce soit par curiosité ou pour le game design, à la difficulté que l’homme a de comprendre son propre fonctionnement. Nous nous heurtons aux illusions que nous nous faisons sur qui nous sommes, comment nous fonctionnons et qui généralement subsistent malgré notre progression dans la compréhension scientifique de notre esprit². Ces illusions sont sans doutes en partie humaines (quasi-biologiques), en partie culturelles, en partie individuelles.
² je n’appelle pas ici à une démarche scientifique appliquée au jeu de rôle – même si c’est certainement une démarche intéressante et enrichissante – non, je cadre et limite mon propos : notre compréhension scientifique, intellectuelle, abstraite, ne change que peu notre auto-perception et ne disperse pas ses illusions.

16 commentaires:

  1. Je suis en phase avec toi et ça me semble clair. Ok aussi sur le fait que réfléchir au jdr te fait ressentir une partie de jdr différemment.

    Avec des nuances : j'ai ressenti cela en creusant de nombreux sujets. Les échecs, la musique, etc ..

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  2. il va falloir que tu passes le pas et que tu posts tes théories rôlistes sur un blog qu'on en garde une trace :)
    Tu es conscient que tout ce qu'on post ici c'est éphémère ?

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  3. C'est déja développé dans le Maelström, d'un autre côté.

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  4. +Gabriel Gnouchaton : sans doute, mais en même temps nous sommes en mode "défonçage de portes ouvertes".

    Tiens, il ne me semble pas que le Maelström soit diffusé librement ? (désolé mais pour moi c'est important)

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  5. Matthieu B tu veux dire que tout les rôlistes ne l'ont pas dans leur bibliothèque?

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  6. Luke Wayland : oui tout à fait. Moi le premier.

    Du coup j'ai bien du mal à me représenter son contenu, même si il y a plusieurs débuts d'explication dans les podcasts de la cellule.

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  7. Oui Luke Wayland pour l'impermanence effective des messages sur les réseaux sociaux. J’y réfléchissais justement en fin d’année passée. La solution que je vais adopter pour le moment : faire des liens depuis mon blog (aujourd’hui pour ainsi dire vide) vers les messages G+ qui ont été productifs ou que je trouve intéressants. Et poursuivre comme cela. J’aime la discussion que nous pouvons avoir ici, je n’ai pas envie d’une fragmentation sur plusieurs médias, donc…

    Gabriel Gnouchaton je n’ai rien entendu ou lu de tel mais je ne sais que ce que Romaric a discuté publiquement (podcasts, sur les Ateliers, conférences enregistrées). C’est possible. Ce qui est certain, par contre, c’est que mon billet est obscur et mal écrit. Piètre communication. Une manière plus simple de dire la même chose : ce que nous pensons que nous faisons change comment nous le ressentons. (Avec un effet de conséquences récursives entre ces trois aspects.)

    Maintenant, si tu veux combler mes lacunes, tu as toute mon attention.

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  8. "...notre compréhension scientifique, intellectuelle, abstraite, ne change que peu notre auto-perception et ne disperse pas ses illusions."

    Je te répondrai en citant un de mes auteurs favoris: "Ce qui est, à mon sens, pure miséricorde en ce monde, c'est l'incapacité de l'esprit humain à mettre en corrélation tout ce qu'il renferme. Nous vivons sur une île de placide ignorance..." :P

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  9. Attention, cette réponse a le goût du pamphlet. Il est surtout une invitation à prendre du recul sur notre façon de penser le jeu de rôle.

    TL;DR je suis assez d'accord avec le taulier

    A. On fait des jeux pour valider des théories.

    Ainsi dans Prosopopée de Frédéric Sintes, les personnages gagnent en efficacité quand les joueuses racontent des trucs cool que les autres récompensent avec des jetons. Le jeu est conçu pour valider une certaine idée du simulationnisme, et il a remporté un succès d'estime, il est pratiqué, aujourd'hui, il fait donc bien partie des pratiques de jeu de rôle. Pour autant, à y regarder de plus près, ce mécanisme est très très bizarre. C'est à contre-emploi de nonante pour cent des pratiques. Des fois je le trouve élégant, des fois je le trouve contre-intuitif, toujours je le trouve bizarre.

    Frédéric Sintes : Comprendre le simulationnisme à travers Prosopopée sur Limbic Systems


    B. On fait des théories pour valider des envies ou automatiser des pratiques émergentes.

    Quand Jerome Larre nous explique l'importance des arcs narratifs, est-ce qu'il décrit une réalité du jeu de rôle ? Je pense plutôt qu'il décrit une envie pour le jeu de rôle. Parce qu'après tout, qu'est-ce qui nous fait penser que l'objet, au moins initial, du jeu de rôle est de raconter une histoire ? C'est moins que certain !

    Jérôme Larré : Quelques détails sur les arcs de personnage, sur Tartofrez


    C. Les théories créent des envies et des croyances.

    Quand tu es imprégné du principe "system does matter", tu vas beaucoup moins tolérer les manques et les contradictions dans un jeu. Trucs qui passaient tout seul avant que ce principe ne se répande dans les esprits.

    Ron Edwards : Le système EST important, sur PTGPTB


    D. les théories te font détester les jeux.

    Parce qu'elles décrivent des absolus, les théories préfigurent des jeux parfaits, aux dynamiques vertueuses, à la cohérence impeccable, au système infaillible, résistants aux joueuses. Et dans la pratique, ces jeux-là tu les rencontre presque jamais. Alors tous les jeux te paraissent ratés. Et quand tu tombes sur un jeu-graal qui te semble parfaitement fonctionner sous l'angle de la théorie... c'est juste que tu devrais lire plus de théorie. Analyse mieux, ton jeu-graal est raté aussi. (Les deux phrases précédentes sont une formule d'ironie).


    E. La théorie transforme la réalité rôliste au lieu de la décrire.


    F. Comme la théorie décrit des envies et non des pratiques, elle transforme les pratiques, parfois à l'inverse de ce qui est recherché.

    Je prends l'exemple de l'article "Le truc impossible avant le petit dej". L'article subodore que nonante pour cent des pratiques, ce sont des joueuses qui suivent le scénario de gré ou de force, et que dix pour cent des pratiques, c'est le meneur qui réagit aux joueuses et que ce truc c'est une sorte de graal de la bonne pratique. Sauf que dans mon expérience (et je vous invite, pour l'illustrer, à écouter les comptes-rendus de partie audio de la chaîne "Histoire au coin du d20", qui me semble un parangon de mainstream), dans nonante pour cent des pratiques, le meneur a préparé un scénario au cas où, et en fait les joueuses font strictement ce qu'elles veulent. C'est pour ça que les scénarios sont toujours deux à trois plus longs à jouer que ce qui est mis dans le bouquin. Parce que c'est un vague fil de rouge pour meubler les moments où les joueuses arrêtent de faire n'importe quoi. Et le truc, c'est que les jeux inspirés de l'article "Le truc impossible avant le petit dej" cherchent à tuer dans l’œuf cette pratique, en gardant un gros focus sur l'intrigue, faille-t-il pour cela impliquer davantage les joueuses en mettant leurs personnages au cœur de l'intrigue ou en leur donnant plus de part à la construction de l'intrigue.

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  10. A. « On fait des jeux pour valider des théories », B. « On fait des théories pour valider des envies ou automatiser des pratiques émergentes » et C. « Les théories créent des envies et des croyances » : ce sont des possibilités. J’étais justement en train de penser depuis quelques temps qu’il y a des circuits dans le tétraèdre réflexion abstraite / conception / pratiques / envies. (Cela fonctionne généralement aussi, au moins temporairement, en supprimant un ou deux sommets.) Et certains passages dans la transformation du jdr si pas obligés du moins probables : une configuration qui fait naitre des envies qui fait naitre d’autres configurations et qui, sur la moyenne des pratiquants, donnent un sens à l’évolution du jdr. Le glissement oDD -> DD -> ADD -> BRP -> GURPS -> WoD -> The Forge (je simplifie et caricature) est compréhensible, il y a une certaine causalité.

    D. « les théories te font détester les jeux ». Disons que nos gouts et attentes peuvent évoluer. La détestation est tout de même une option personnelle trop radicale à mon gout.

    E. « La théorie transforme la réalité rôliste au lieu de la décrire. » Non. Cela peut-être une conséquence, accidentelle ou volontaire. Le « au lieu », au moins, n’est pas exact à mon avis. Mais l’espoir de pouvoir la changer est tout de même un des pieds du tabouret de la réflexion théorique, non ? (les trois autres que je perçois sont la compréhension, la capacité de communication et le gonflement des chevilles.)

    F. « Comme la théorie décrit des envies et non des pratiques, elle transforme les pratiques, parfois à l'inverse de ce qui est recherché. »

    J’ai une autre perception des choses. Certaines théories sont pour diverses raisons séduisantes (indépendamment de leur « vérité »), en les adoptant (parfois trop fort) nous modelons notre perception, il se peut que nous transformions nos gouts et nos attentes, de manière superficielle/éphémère ou profonde/durable. Le truc impossible avant le petit dèj est (dans mon souvenir) un raisonnement séduisant mais fallacieux. Je suis assez fâché avec lui.

    G. « Les théories, ce sont aussi des modes ou des vieilles traditions remises au goût du jour. Elles pensent revaloriser le jeu en le centrant sur ses essentiels et en fait elles encouragent des pratiques proches de l'anti-jeu. » L’excès nuit en tout (par définition, n’est-ce-pas, ce que le dicton néglige). Ceci dit, je trouve que « Pieds nickelés & épiciers » est un titre de jeu assez séduisant ;)

    H. « Jouer au jeu de rôle, c'est une activité floue, impossible à concevoir dans le détail. » et J. « La pratique n'est pas la réalité. A moins d'analyser la totalité des pratiques, on échoue à décrire la réalité de l'activité rôliste. Et avoir beaucoup de données échoue à se rapprocher de la réalité, car on n'est jamais à l'abri d'un cygne noir, d'une pratique marginale qui dirait une chose différente sur l'activité rôliste sans qu'on ait eu la chance de l'observer. » : le jdr est une activité sociale, soumise aux mêmes limitations d’étude, de pensée, de réflexion, et je postule que son principal intérêt est personnel, dans notre perception. Cela complique les choses, mais ne les rends pas impossible. Ne cédons pas à l’attrait du sophisme de la solution parfaite.

    I. « Pour retrouver une pratique instinctive du jeu de rôle, il nous faut casser la théorie. » et K. « Pour retrouver une pratique instinctive du jeu rôle, il nous faut casser notre expérience pratique » : la pratique instinctive du jeu de rôle est au mieux une illusion, au pire une catastrophe (une interaction sociale et imaginaire sans aucun des apprentissages sociaux ou imaginaires ? brrrr !) Et pourquoi faire, tout d’abord, en dehors de la curiosité ?

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  11. D. Pour le dire moins crument, je dirais qu'à trop analyser, on voit trop les failles des jeux, des joueuses ou des pratiques pour vraiment s'amuser. Ne serait-ce que parce qu'un jeu de rôle étant un jeu incomplet, l'activité rôliste est forcément imparfaite, faite de contradictions, de lacunes et d'essais-erreurs. Et quand on est dans la suranalyse, on ne voit plus que ça, on peut se sentir frustré. Tu dis que le regain de plaisir malgré l'analyse vient dans l'évolution des gouts. Je pense pour ma part que le plaisir revient quand tu parviens à t'affranchir de tes goûts, pour mieux épouser le jeu, les joueuses ou la pratique du moment.

    E. Plutôt que le gonflement des chevilles, on pourrait aussi dire le plaisir de réfléchir sur notre passion ? Je dis que théoriser transforme la réalité parce qu'on en est réduit à faire des modèles. Les modèles sont au mieux une simplification de la réalité, à défaut d'être une falsification. Et quand on s'appuie sur ces modèles pour reproduire des pratiques, on crée de nouvelles pratiques plutôt que d'en encourager d'anciennes.

    F. On peut reformuler ainsi : "la théorie transforme nos envies et donc elle transforme nos pratiques."

    G. Dans le jeu "Non Merci" d'Alexis Lamiable, on incarne des hobbits qui font tout pour résister à l'appel de l'aventure.

    H. Je dis juste que c'est vain de chercher à découvrir l'activité rôliste dans sa totalité, parce que l'activité est infinie. Je comprends en revanche tout l'intérêt qu'il y a de chercher à découvrir un maximum de l'activité rôliste.

    I. Déjà, la curiosité me paraît un mobile suffisant pour rechercher à retrouver ce qu'est le jeu d'instinct. Également, ça paraît intéressant de vérifier si vraiment c'est aussi dysfonctionnel qu'on ne le conçoit. Enfin, l'idée c'est aussi de repartir de zéro pour reconstruire après coup. Mais j'ai bien précisé que c'était impossible de retrouver un jeu d'instinct, à moins de s'effacer la mémoire. On peut juste s'en approcher.

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  12. Gabriel Gnouchaton tu ne veux pas me résumer ce qu'il en est dit dans le Maelstrom ?

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  13. C'est plus trop dans le cadre de ce que vous discutez, c'était une réaction à l'apport de sentiment de chacun à une partie. La thèse du Maelstrom est que chacun a une image, un sentiment et une perception différente de "la partie" qui, du coup, n'est pas un truc unique et objectif (les 6 aveugles et l'éléphant quoi, sauf que l'éléphant n'existe pas). Du coup l'existence d'une partie "objective" est non-pertinente, car même pour un observateur externe, elle est influencée par son regard et ses sentiments (en tant qu'objet purement imaginaire).

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  14. Ok, ça ressemble plus au maelstrom que je connais (imparfaitement). Et effectivement ce n'est pas cela ici. Merci pour l'information, cela m'apaise sur mes lacunes :)

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